Une autre flottille humanitaire est sur le point de prendre la mer en route pour Gaza. Malgré l’abstention turque, Free Gaza Movement a réitéré sa détermination. Si l’annonce du gouvernement israélien ne change pas d’un iota de la position prise lors de l’été dernier, et utilise une propagande quelque peu vulgaire (les mots hatred flottilla semble vraiment hors de propos) ; la société israélienne est plus divisée sur la question. On en parle d’ailleurs davantage que dans l’hexagone: un article dans les principaux sites médiatiques israéliens sur le sujet recueille au bas mot une cinquantaine de commentaires et opinions, dont de nombreuses critiques à l’encontre du blocus économique, alors que l'unique article du Monde faisant état de la volonté israélienne d'intercepter la flotte n'a donné lieu qu'à trois pauvres remarques, béotiennes et antisémites. Alors certes, cela concerne Israël au premier chef, mais lors du drame de 2010, les Français se sont soudain passionnés pour l’affaire, en condamnant virulemment Israël. Un peu facile de s’intéresser à un sujet seulement après son dénouement sanglant. Ce post a donc pour principale but de lancer quelques pistes à une réflexion ex-ante quant à la légitimité et les objectifs des deux bords.
Dois-t-on considérer que les objectifs de l’expédition sont humanitaires ou politiques et médiatiques ? Ne nous y trompons pas : la flottille a pour but de dénoncer le blocus et d’attirer dessus le regard de la communauté internationale. Comme me l’a confié Gideon Levy (journaliste et pourfendeur de la politique israélienne à l’égard des palestiniens depuis de nombreux années), la portée humanitaire est symbolique. Pour autant, le but paraît légitime, pour ceux qui considère le blocus comme illégal et inacceptable. On s’explique alors pourquoi les activistes refusent de laisser contrôler leur cargaison par les IDF: ceci reviendrait à reconnaître un droit de regard, et donc de blocus, à Israël : précisément ce droit pris de force que les activistes cherchent à dénoncer. Une autre conséquence directe et - presque- paradoxale : les activistes ont intérêt à se voir stopper par Israël, et si possible avec violence et affrontements, puisque c’est là le meilleur moyen de faire parler d’eux, et de rallier à leur cause gouvernements et citoyens du monde.
Pourquoi, peut-on se demander alors, Israël s’obstine à les arrêter ? Selon Gideon Levy, rien ne le justifie. Israël n’a ni droit, ni intérêt à stopper une flottille, qui arrivée à Gaza, ne ferait plus parler d’elle. On peut cependant être sceptique devant un tel argument: une flottille passée serait une reconnaissance implicite par Israël de l’iniquité de son blocus et aurait peut-être pour conséquence une multiplication de tentatives de convois vers Gaza. Je ne discute pas ici de la légitimité ou de l’efficacité du blocus. La discussion est complexe et fera peut-être l’objet d’un prochain post. Loin d’être son défenseur, je pense cependant que restant aujourd’hui la politique d’Israël, la marge de manœuvre est réduite : une intervention a des conséquences négatives sur ce que pensent ses amis, une non-intervention aurait des conséquences dangereuses sur ce que pensent ses ennemis. Le "moins pire" est clairement la première option.
Ma conclusion est donc la suivante : 1. Cette expédition a un but médiatique et non humanitaire, qui du reste est nécessaire. 2. Israël n’a que peu d’option et se prêtera, à tord ou à raison, une nouvelle fois et pour le pire, à la provocation des activistes. Le désagrément causé par l’opprobre international pèse moins lourd dans la balance du gouvernement israélien que la peur de paraître aux yeux de son peuple et de ses ennemis, un pouvoir faible et malléable. 3. D’où ma question: pourquoi attendre d’éventuels nouveaux morts ou des blessés pour parler de Gaza, et dénoncer le blocus ? Les vrais amis d’Israël et des palestiniens, gouvernement, ONG ou société, ne devraient pas attendre un nouvel affrontement, et prendre les devant en France et ailleurs, pour exercer une véritable pression politique sur Israël et lui faire reconnaître l’inutilité et la cruauté du blocus économique, ce qui du même coup, rendrait obsolète une telle provocation. Oui mais voilà, il est à croire que seul le sang versé appelle à verser l’encre. Triste état des choses dans notre monde-spectacle gavé de violence.