La une des journaux en Israël est entièrement occupée par la prochaine libération de Gilad Shalit et de 1027 prisonniers palestiniens, après l'accord passé entre le gouvernement hébreu et le Hamas. En Israël et en Palestine, on se tient prêt à se réjouir, pas des mêmes choses bien sûr. Reste que la réaction des médias français et des commentateurs en tout genre est inquiétante. Outre l'erreur du Monde sur le nombre des palestiniens concernés par l'échange, l'analyse au lance pierre sur la réussite inopinée de la transaction, et les habituelles remarques purement antisémites et hors sujet, on a en règle générale aucun détail dans nos médias (version informatique) sur le récent accord et la discussion qu'il a nécessité, rien sur ses protagonistes (pourtant nombreux), à peine plus sur ses clauses et sa mise en oeuvre dans les prochains jours. Retour donc, avec objectivité (si tenté que cela soit possible), sur les déterminants du dernier (espérons-le) volet de l'affaire Shalit.
La scène d'abord. Au Caire, table de discussion entre les représentants du Hamas (qu'on ne présente plus), David Meidan, envoyé de Netanhayou et le Shin Bet, les services de Sécurité Générale israéliens. cette dualité du côté israélien a son importance: Meidan est parle au nom du gouvernement, il sait ce à quoi est prêt celui-ci pour obtenir gain de cause, quelles sont ses "red lines" et les points à valoriser dans la négociation. Shin Bet, représentée par son directeur Yoram Cohen, fournit l'information quant aux palestiniens concernés par l'accord. Son rôle est éminent stratégique, Y. Cohen prenant d'ailleurs la liberté de donner clairement son avis sur le bien ou le mal fondé de la décision. Troisième opérateur israélien, les IDF, chargées de la mise en oeuvre de l'accord sur le terrain, autrement dit, de la récupération de Shalit auprès des autorités égyptiennes, et de la remise en liberté des détenus. Enfin le médiateur, en premier lieu l'Egypte, très active dans le nombre de propositions visant à franchir le gap restant entre les deux camps, et la délégation allemande dans une moindre mesure.
L'accord ensuite. Rien que1027 palestiniens pour un juif israélien. En plus de ce déséquilibre du nombre, Israël a du faire deux autres concessions, qui faisaient partie de ses red lines jusqu'à récemment: libérer des arabes israéliens ainsi que certains détenus, anciens organisateurs d'actes terroristes, (faisant partie à ce titre de la liste des 125 des "non négociables"). Israël a cependant obtenu du Hamas une importante concession en échange: le non retour de la plupart de ces détenus en Cisjordanie mais expulsés vers Gaza ou vers l'étranger. C'est pourquoi l'accord paraît aux yeux de nombreux protagonistes du camps israélien, comme très acceptable, voir comme la meilleure opportunité obtenue depuis le début des négociations. Enfin, signalons qu'en vertu de la loi israélienne, l'accord doit être au préalable accepté par la société israélienne, puisque que chaque israélien dispose du droit de saisir la Cour Suprême contre sa mise en œuvre.
L'analyse enfin. Chacun se gargarise de trouver des raisons évidemment politiques et sournoises, faisant Netanyahu digne de Machiavel, pour expliquer cet accord. On évoque un gouvernement israélien mis en difficulté par la "rue israélienne" à la recherche d'un regain de popularité, ou encore plus alléchant, la volonté d'Israël en concluant ce marché avec le Hamas d'affaiblir le Fatah d'Abu Mazen afin de miner sa démarche à l'ONU. Sans contester la pertinence de ces éléments, qui restent néanmoins discutables, il me semble qu'on oublie à quelle point la dimension sentimentale est primordiale : Shalit est en captivité depuis plus de cinq ans (du jamais vu pour un prisonnier israélien détenu par le Hamas), on ne peut pas se promener dans une ville en Israël, sans rencontrer un portrait géant de lui, une affiche sur les murs, ou un tag sur un pylône avec comme toute légende free shalit ; sa famille ont dressé une tente de protestation en plein centre de Jérusalem, non loin de la residence du PM, dont la fréquentation n'a cessé de croitre au fil des mois. Cette libération était attendue d'une manière très forte par la société israélienne, Netanyahu n'avait peut-être pas le pouvoir et la marge de manoeuvre qu'on lui imputait dans cette affaire.
Retour en dernier lieu sur les éléments politiques évoqués précédemment.Pour penser que cet accord est une manoeuvre délibérée d'Israël pour mettre en difficulté Abbas, faut-il encore s'interroger sur l'intérêt d'Israël de voir le Hamas plus fort au détriment du Fatah, au risque même de le voir supplanter ce dernier en Cisjordanie. Je vous dis franchement mon avis : Israël n'a aucun intérêt à cela. Des petits malins diront que si, car cela mettait fin à toute velléités de paix, que l'Etat sioniste se refuse bien sûr à concrétiser. Je pense le contraire d'abord parce que la procédure à l'ONU, malgré tout ce qu'on écrit dessus, ne représente aucun danger direct et de court terme pour Israël. Ensuite, car sans même discuter de la volonté réelle d'Israël à faire ou ne pas faire la paix, on ne peut pas raisonnablement penser qu'Israël gagnerait à la fin de la coordination des politiques sécuritaires et économique avec l'Autorité Palestinienne au sein des territoires occupés, la montée des violences dans ces zones, et l'exposition accrue au terrorisme provenant de Cisjordanie, ces trois dernières propositions étant les conséquences probables d'une hypothétique prise de pouvoir du Hamas en Cisjordanie.
Que conclure? Restons prudent, bien sûr. On connaît mal d'abord l'ensemble des dimensions d'un tel accord, qui reste à être finalisé. L'accord a un double mérite: satisfaire l'attente angoissée de toute une société, améliorer le sort de palestiniens, sans augmenter de manière significative la menace terroriste pesant sur Israël. Qu'on y réfléchisse avant de le dénoncer à grands cris. (NB: Nous n'avons pas discuter des raisons d'Israël de garder en captivité de nombreux palestiniens, souvent au mépris de la plus élémentaire justice. C'est un sujet, peu reluisant pour Israël, sur lequel il s'agit quand même de s'informer de manière réfléchie avant de porter toute opinion hâtive).
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