dimanche 29 mai 2011

Les petits riens à Tel Aviv_1.

(en aparté)
יום המשפחה טוב, אמא. כאשר אני חושב ,את בראשי. כאשר אני קורא, את בעיני
כאשר אני אוהב,  את בלבי.  תמיד וחזק

On l'a déjà dit, Tel Aviv est une ville très occidentale. Elle s'apparente à bien des égards à une ville méditerranéenne de nos rivages. Pourtant, dans le paysage, certains petits riens ne trompent pas, et font de Tel Aviv, selon notre chance et notre humeur, une ville israélienne, une place cosmopolite ou encore, un lieu à part et sans pareil (comme le sont, chacune à leur manière, toutes les grandes villes). Je propose donc de vous égrener à l'occasion ces petits riens qui nous surprennent un temps avant de se fondre dans le décor. Aujourd'hui, incontournables et communs aux autres villes d'Israël, j'ai nommé les cheyrouts.

Tel Aviv et sa périphérie n'ont pas de métro, et par conséquent disposent d'un système de bus phénoménal, labyrinthique et pour finir incompréhensible. Mais la particularité de ce réseau tient au fait qu'il est doublé de transports communs privés, sorte de taxis collectifs, appelés les cheyrouts. Le prix de la course est en général légèrement inférieur au ticket de bus (6 au lieu de 6,4 shekels) et les cheyrout présentent l'incomparable avantage de fonctionner jusqu'à 2-3 heures du matin ainsi qu'à Shabbat ou durant les (nombreux) jours fériés. 

Alors que les bus ont la même morphologie que ceux que l'on rencontre dans l'hexagone (en un peu plus défoncés), les cheyrouts sont des minibus jaunes et le nombre de place y est limité à une dizaine de places. Il ne faut alors pas s'étonner de voir un cheyrout ne pas s'arrêter lors que vous lui faites signe du trottoir, de la manière israélienne et autoritaire qu'il convient. Si vous avez de la chance le bus s'arrêtera à votre hauteur, et le conducteur vous ouvrira la porte à l'aide d'une sorte de bras télescopique actionné de son siège. Ne vous attendez pas cependant à un sourire,- à moins que vous ne soyez une séduisante brune en mini short et brassière-, et dégainez rapidement vos six shekels. Durant le trajet, réfrénez votre envie de vous plonger dans un bouquin ou de vous laisser aller à votre musique, car les cheyrouts déboulent et ne marquerons pas l'arrêt que vous convoitez, si vous ne le signalez pas.

Mais malgré ces petits désagréments de routine, les cheyrouts sont sans conteste un moyen de transport économique et rapide. Leur existence est sûrement pour beaucoup dans la conservation de tarifs très acceptables pratiqués par les taxis "conventionnels", alors que Tel aviv connaît par ailleurs un indice de prix similaire voir supérieur à Paris. Une idée à prendre pour notre chère capitale ?





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samedi 28 mai 2011

Le torchon brûle à Lag Ba'omer!

Ce blog fait pâle figure face à la vraie Tel Aviv, la ville qui ne s'arrête jamais. Je tâche donc aujourd'hui de réparer mon manquement envers vous, fidèle (et précieux) lecteur.

Le week-end dernier a eu lieu Lag Ba'omer, 33 jours après Pessah, comme son nom l'indique. En effet, le Lamed a trente pour valeur numérique et le Gimel  trois. Deux lettres et deux chiffres donc, pour une fête qui se résume aussi en deux mots: feux de camps et pèlerinages. Des mots qui témoignent une nouvelle fois de la dichotomie entre les judaïsmes religieux et séculaire en Israël.

Les feux de camps (médoura, מדורה) s'organisent dans tous le pays. La tradition est si suivie, que la nuit des médourot préoccupe le gouvernement israélien. Outre les nombreux commencements d'incendies que la fête  engendre,  le ciel au petit jour est gris cendre et pourvu d'une concentration en gaz carbonique susceptible d'être nocive!  Rien que dans le grand parc de Tel Aviv une bonne centaine de médourot se repérait de visu. On y fait cuire  la viande et des pommes de terres par douzaine, on y chante les chants de la victoire de Lag Ba'omer, mais le principal reste de faire la fête. Comme plaisantait un jeune homme "All Jewish Holyday comes down to: They tried to kill us, we won, let's eat! ". Si on peut discuter la pertinence du raccourci historique, cette phrase dénote un état d'esprit typique du jeune israélien. Être juif, pour eux, ne revient pas à détenir au sein d'une communauté restreinte une masse de connaissances et de pratiques ordonnancées et obscures pour l'éventuel spectateur extérieur. Le savoir du garçon en question paraissaient en l'occurrence flou et plutôt limité. "Etait-ce les grecs ou les romains? La période? Alors là..."  Non, être juif, c'est partager une fête et la joie qui s'en échappe, et si le souvenir y a sa place, il reste vague et pour tout dire mythologique. En ce sens le judaïsme séculier apparaît être bien plus inclusif, que celui qu'on a en tête, le judaïsme religieux, dont la quasi-impossibilité d'accès est proverbiale.

Mais Lag Ba'omer, c'est aussi des pèlerinages religieux en masse vers les tombes des justes (qui sont ici les acteurs de la révolte juive commémorée à Lag Ba'omer), et dont la principale destination est le mont Méront. Le 33ème jour figure comme une date charnière dans le décompte du omer, et régit encore dans la vie des pratiquants maints principes et activités quotidiennes. Il est par exemple interdit de se marier ou de se raser entre Pessah et Lag Ba'omer, qui est alors un jour très prisé par les jeunes fiancés, pour ne rien dire de nos amis barbiers.

Pour la petite histoire, le hasard du calendrier a cette année compliqué les choses: Lag Ba'omer tombait un Shabbat! La controverse faisait rage entre les plus vénérables rabbins pour savoir de dimanche ou de samedi, quel jour consacrer à la fête.

dimanche 15 mai 2011

Nakba

Le Jour de la Nakba, " la catastrophe" en Arabe, est le jour de deuil palestinien en commémoration de la création de l'État d'Israël le 14 mai 1948. Ces trois jours ( de vendredi à dimanche) sont l'occasion pour les palestiniens de manifester de manière pacifique et de faire entendre leur revendication au droit à un État,  l'État de Palestine, ainsi qu'au "droit de retour", établie par la résolution 194 de l'ONU. Ils interviennent chaque année, par la malice des calendriers, quelques jours après la fête d'Indépendance, et viennent rappeler le prix de cette dernière.

Êtes-vous, comme moi au départ, mal à l'aise devant cette similarité des termes: Nakba, Shoah, droit de retour arabe et alyah? Certains pourront y voir le choix pernicieux fait d'un côté ou d'un autre. Ils tergiverseront sur des comparaisons vaines et difficiles: du degré d'horreur entre un génocide et l'échec dans la lutte pour un État, des différences d'afflictions entre un sans-terre palestinien ou un membre de la Diaspora. Je préfère pour ma part passer outre le commentaire dangereux de ces choix sémantiques, et me convaincre que la similitude des mots reflète plutôt la proximité des Histoires israélienne et palestinienne. Deux peuples meurtris, qui se meurtrissent encore et encore, à n'en plus finir. 

Israël craint des débordements particulièrement violents cette année. Trois éléments sont  susceptibles de faire dégénérer les tensions: le printemps arabe et l'appel à une nouvelle Intifada, le récent rapprochement du Fatah et du Hamas, et enfin l'approche du processus de création d'un État palestinien à l'ONU en Septembre. Tout ceci a conduit l'IDF, les forces spéciales israéliennes à redoubler d'efforts, d'hommes et de moyens dans l'encadrement des évènements. Si, au demeurant, la PA contrôle en Cisjordanie les membres du Hamas et empêche une confrontation directe entre eux et les IDF, la sécurité a un prix:  les morts de Milad  Ayache de Jérusalem-Est et de plusieurs autres palestiniens à la frontière libanaise, la mort d'un israélien lors d'un accident aux allures terroristes à Tel Aviv.

Mais ce qui décourage le plus en ces jours, c'est l'absence de réaction dans l'opinion juive. Certes on dénote la présence de quelques membres de la gauche israélienne dans les cortèges de Bi'in et Na'alin, mais tout cela est bien maigre. Si Israël était le grand État qu'il prétend être, ce jour devrait être l'occasion de reconnaître ses tords envers le peuple palestinien.  Voilà peut-être le plus grand défi qu'attend Israël: apprendre toute l'Histoire de 48 et  67 et non pas la seule partie douloureuse et triomphante ; enseigner aux jeunes générations tout ce que contient le mot Nakba.

mardi 10 mai 2011

Yom Zikaron et Yom Ha'atzmaout. Soyez tristes, soyez heureux

 Yom Zikaron et Yom Ha'atzmaout sont deux jours qui se suivent dans le calendrier juif. Yom Zikaron, le jour de la mémoire, commémore les soldats tombés pour Israël, et Yom Ha'atzmaout fête l'indépendance de l'État Juif. Cette disposition du calendrier en dit long sur l'état d'esprit israélien : l'alliance du pragmatisme à la culture du souvenir. "On va de l'avant, mais on n'oublie pas, c'est ça Israël" me disait un ami, qui a fait son Alyah il y a deux ans. Cette association peut surprendre. Pourrait-t-on imaginer en France, la fête du 14 juillet succéder au jour des morts ? La comparaison n'est évidemment pas appropriée, pour la bonne raison que Yom Zikaron ne connaît pas d'équivalent en France ou en Europe. Israël est un pays en conflit ouvert et ces deux jours, foisonnants de drapeaux et de symboles, en portent nécessairement la marque. Cette volonté de lier le jour du deuil national à la fête la plus démonstrative, la plus exubérante et la plus nationaliste de l'année affiche clairement la pensée israélienne. Ces soldats morts sont autant de dons, de sacrifices consacrés pour qu'Israël soit encore et toujours un bouillonnement de vie.

Consacrée, la cérémonie de Yom Zikaron l'est à un degré élevé. Le pathos peut surprendre et même choquer les yeux d'un étranger. Cela frise, se dit-t-on, la propagande. Pendant près de trois heures, de longs reportages vidéos  parlent des derniers soldats tombés, entrecoupés de chansons patriotiques reprises par la foule dans un murmure. Photos ou films de l'enfance , de la courte jeunesse de ces soldats s'étalent sur des écrans géants, accompagnés des interviews de proches éplorés de chagrin . J'avoue m'être demandé presque de façon clinique, le nombre de morts palestiniens, ou de tués sur les routes israéliennes (des rapports respectifs de 5 pour 1et 2 pour 1). On peut soutenir que cette cérémonie n'a pour horizon que l'adhérence nationale aux intérêts d'État et pour conséquence néfaste d'attiser la défiance et le ressenti. Mais c'est faire là preuve d'autisme au regard de la réalité israélienne. Avant de sonder les calculs tactiques, faut-il encore comprendre les obligations dictées par les besoins d'un peuple. Yom Zikaron est nécessaire au-delà de toute considérations politiques, car il est l'expiation rituelle de la souffrance israélienne.  En en définitif, plus que l'emphase du moment, ce qui nous frappe et nous emporte, c'est l'émotion réelle qui s'en libère. Elle s'exprime par  des regards graves et des larmes silencieuses, communes aux jeunes et aux vieux, aux laïcs et aux pratiquants, aux ashkénazes et aux séfarades. Que l'on me comprenne, je ne fais pas l'apologie de Yom Zikaron. J'aimerais retranscrire ici la compréhension soudaine, que j'ai eu cette nuit, de ma condition totalement extérieure à la question israélo-palestinienne. Ma pensée n'est que raison, jugement et elle n'avait pas sa place en ce jour-là, où, à mes yeux, des inconnus pleuraient des inconnus. Mais pour eux, c'était Israël qui pleurait ses enfants. S'évertuer à penser le conflit est un choix, sûrement sensé et fécond; mais il ne faut pas oublier que ce choix n'est pas toujours donné à ceux qui vivent le conflit.

    Pour la petite anecdote de l'édition 2011, une interruption technique s'est produite en début de la cérémonie, le temps du premier reportage où le son sans les images nous est parvenu. C'est alors qu'après la Tikva, qui clôture traditionnellement le service, le présentateur reprend son micro et prononce quelques mots. Sur les écrans s'affichent les images d'une femme, et sa voix tremblante s'élève pour la seconde fois sur Kikar Rabin. Et chacun reste à sa place pendant les sept longues minutes de reportage ; une belle leçon du respect israélien en de pareilles occasions.

    La transition de Yom Zikaron avec Yom Ha'atzmaout est brutale, tranchante. La fête d'indépendance s'apparente à un défouloir dont l'échelle est celle d'un pays, et la durée celle d'une nuit. La veille est l'une des deux nuits de l'année, où le tapage nocturne, établi en sport régional à Tel Aviv, est admis et ne fait pas l'objet d'interventions de policiers malcommodes. Les gens descendent les amplis, les guitares, ou n'importe quoi d'autres qui puissent s'entendre à la ronde, et dansent et boivent toute la nuit au son techno, pop ou afro. Si vous croiser des kippot et papillotes en transe sur de la pulse music, rien de plus normal ; ce sont les "rabbis techno" un mouvement  en vogue du corps religieux qui vise à démontrer qu'être haredim ne signifie pas forcément refuser toute modernité (encore que ceci est autre histoire...)

lundi 2 mai 2011

N'oubliez pas


    Aujourd'hui, on a fêté en Israël Yom Ha Shoah, le jour de l'Holocauste. Comme toute fête juive, l'évènement commence la veille au soir; les magasins, commerces, bars et restaurants fermant dès sept heures. Il s'organise dans les grandes villes du pays diverses conférences, la "nationale" ayant lieu à Yad Vashem. Les anciens des camps y sont présents, et racontent, pour ceux qui le veulent, leur histoire. On prononce quelques discours,  on entonne des chants tristes.  Yom Ha Shoah n'est quant à lui pas férié, mais à dix heures du matin retentit partout en Israël une sirène. Alors, la vie s'arrête. Dans les rues, sur le pallier des maisons, sur les lieux de travail, et même sur les autoroutes, chacun est debout, à côté de son bureau ou de sa voiture et écoute les hauts parleurs hurler cette note sourde et continue. Le temps d'une minute, une nation toute entière s'associe dans le silence et réalise d'un même bloc un devoir de mémoire, qui perdure grâce à chacun d'entre nous.