Yom Zikaron et Yom Ha'atzmaout sont deux jours qui se suivent dans le calendrier juif. Yom Zikaron, le jour de la mémoire, commémore les soldats tombés pour Israël, et Yom Ha'atzmaout fête l'indépendance de l'État Juif. Cette disposition du calendrier en dit long sur l'état d'esprit israélien : l'alliance du pragmatisme à la culture du souvenir. "On va de l'avant, mais on n'oublie pas, c'est ça Israël" me disait un ami, qui a fait son Alyah il y a deux ans. Cette association peut surprendre. Pourrait-t-on imaginer en France, la fête du 14 juillet succéder au jour des morts ? La comparaison n'est évidemment pas appropriée, pour la bonne raison que Yom Zikaron ne connaît pas d'équivalent en France ou en Europe. Israël est un pays en conflit ouvert et ces deux jours, foisonnants de drapeaux et de symboles, en portent nécessairement la marque. Cette volonté de lier le jour du deuil national à la fête la plus démonstrative, la plus exubérante et la plus nationaliste de l'année affiche clairement la pensée israélienne. Ces soldats morts sont autant de dons, de sacrifices consacrés pour qu'Israël soit encore et toujours un bouillonnement de vie.
Consacrée, la cérémonie de Yom Zikaron l'est à un degré élevé. Le pathos peut surprendre et même choquer les yeux d'un étranger. Cela frise, se dit-t-on, la propagande. Pendant près de trois heures, de longs reportages vidéos parlent des derniers soldats tombés, entrecoupés de chansons patriotiques reprises par la foule dans un murmure. Photos ou films de l'enfance , de la courte jeunesse de ces soldats s'étalent sur des écrans géants, accompagnés des interviews de proches éplorés de chagrin . J'avoue m'être demandé presque de façon clinique, le nombre de morts palestiniens, ou de tués sur les routes israéliennes (des rapports respectifs de 5 pour 1et 2 pour 1). On peut soutenir que cette cérémonie n'a pour horizon que l'adhérence nationale aux intérêts d'État et pour conséquence néfaste d'attiser la défiance et le ressenti. Mais c'est faire là preuve d'autisme au regard de la réalité israélienne. Avant de sonder les calculs tactiques, faut-il encore comprendre les obligations dictées par les besoins d'un peuple. Yom Zikaron est nécessaire au-delà de toute considérations politiques, car il est l'expiation rituelle de la souffrance israélienne. En en définitif, plus que l'emphase du moment, ce qui nous frappe et nous emporte, c'est l'émotion réelle qui s'en libère. Elle s'exprime par des regards graves et des larmes silencieuses, communes aux jeunes et aux vieux, aux laïcs et aux pratiquants, aux ashkénazes et aux séfarades. Que l'on me comprenne, je ne fais pas l'apologie de Yom Zikaron. J'aimerais retranscrire ici la compréhension soudaine, que j'ai eu cette nuit, de ma condition totalement extérieure à la question israélo-palestinienne. Ma pensée n'est que raison, jugement et elle n'avait pas sa place en ce jour-là, où, à mes yeux, des inconnus pleuraient des inconnus. Mais pour eux, c'était Israël qui pleurait ses enfants. S'évertuer à penser le conflit est un choix, sûrement sensé et fécond; mais il ne faut pas oublier que ce choix n'est pas toujours donné à ceux qui vivent le conflit.
Pour la petite anecdote de l'édition 2011, une interruption technique s'est produite en début de la cérémonie, le temps du premier reportage où le son sans les images nous est parvenu. C'est alors qu'après la Tikva, qui clôture traditionnellement le service, le présentateur reprend son micro et prononce quelques mots. Sur les écrans s'affichent les images d'une femme, et sa voix tremblante s'élève pour la seconde fois sur Kikar Rabin. Et chacun reste à sa place pendant les sept longues minutes de reportage ; une belle leçon du respect israélien en de pareilles occasions.
La transition de Yom Zikaron avec Yom Ha'atzmaout est brutale, tranchante. La fête d'indépendance s'apparente à un défouloir dont l'échelle est celle d'un pays, et la durée celle d'une nuit. La veille est l'une des deux nuits de l'année, où le tapage nocturne, établi en sport régional à Tel Aviv, est admis et ne fait pas l'objet d'interventions de policiers malcommodes. Les gens descendent les amplis, les guitares, ou n'importe quoi d'autres qui puissent s'entendre à la ronde, et dansent et boivent toute la nuit au son techno, pop ou afro. Si vous croiser des kippot et papillotes en transe sur de la pulse music, rien de plus normal ; ce sont les "rabbis techno" un mouvement en vogue du corps religieux qui vise à démontrer qu'être haredim ne signifie pas forcément refuser toute modernité (encore que ceci est autre histoire...)
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