I.
On distingue dans la population israélienne ceux qui sont revenus en Eretz Israël au cours des vagues successives d’alyah et les autochtones, nés en Israël, qu’on appelle les sabras (en hébreu les Tsabarim). Le chance d’être israélien et sabra dépend bien sûr de son histoire familiale, de sa génération et de la nationalité d’origine. Par exemple, comme la dernière alyah massive s’est produite dans les années 90-93 à la suite de la chute du régime soviétique, la probabilité qu’un cinquantenaire qui appartient à la communauté russe ne soit pas un sabra, est beaucoup plus élevé que parmi les communautés séfarades et ashkénazes d’Europe occidentale. Aujourd’hui au sein de la jeune génération (disons avec une moyenne d’âge de 25 ans), le cas répandu est celui de rencontrer des sabras dont les parents ou les grands parents ont fait alyah au siècle dernier.
On distingue dans la population israélienne ceux qui sont revenus en Eretz Israël au cours des vagues successives d’alyah et les autochtones, nés en Israël, qu’on appelle les sabras (en hébreu les Tsabarim). Le chance d’être israélien et sabra dépend bien sûr de son histoire familiale, de sa génération et de la nationalité d’origine. Par exemple, comme la dernière alyah massive s’est produite dans les années 90-93 à la suite de la chute du régime soviétique, la probabilité qu’un cinquantenaire qui appartient à la communauté russe ne soit pas un sabra, est beaucoup plus élevé que parmi les communautés séfarades et ashkénazes d’Europe occidentale. Aujourd’hui au sein de la jeune génération (disons avec une moyenne d’âge de 25 ans), le cas répandu est celui de rencontrer des sabras dont les parents ou les grands parents ont fait alyah au siècle dernier.
Ces jeunes israéliens, sabras donc, n’ont pas grand chose à voir avec la vision du juif qu’on pouvait avoir dans le monde occidental du XXème siècle, et qu’on garde sûrement en partie. Comme nous allons le voir, on pourrait pousser l’audace jusqu’à dire que leurs modèles et leurs archétypes se sont précisément construits en opposition à cette image du juif européen doublement entravé, par un carcan physique d’abord, résidant du ghetto ou du shtelt (bien qu’il s’agisse là de deux mondes très différents), un carcan spirituel ensuite, qui est l’esprit de la galout (la vie dans l’exil).
L’image du sabra a pour première caractéristique celle d’un homme fort, qui se dévoue tour à tour au kibboutz et à l’armée, deux mondes où le physique est une dimension centrale. Cette idée de puissance physique est directement opposée à la définition du juif européen du ghetto caractérisé en premier lieu par son intellect et dont on a tous en tête la représentation chétive et malingre. Cet archétype du sabra s’est imposé dans les diverses relations humaines : amoureuses d’abord ; les femmes israéliennes sont pour la plupart clairement attirées vers des hommes à la masculinité prononcée, - un israélien venu de France, volontaire dans un kibbutz dans les années 60, avait déjà constaté ce goût féminin particulier et les tracas pour les jeunes français volontaires qui en découlaient- , sociales ensuite, le contact en Israël est franc (j’ai déjà pu en toucher deux mots dans cette colonne) et dénué de toute politesse, rude dans un certains sens. La version extrême -pour ne pas dire dégénéré - de cet archétype est d’ailleurs le “achs”. Les achsim sont ces jeunes israéliens qui en été envahissent les plages, bandent les muscles, sourient bêtement et draguent tout ce qui se porte un maillot deux pièces. Certes dans certains milieux l’appellation de achs possède une connotation clairement négative mais leur profilération dans les couches populaires dénote de l’attachement au culte de la masculinité, valeur première du sabra.
En second lieu, un deuxième caractéristique du sabra, moins perceptible aux premiers abords, est celle de son conditionnement au destin national, à sa conscience précoce que ses actions, ses devoirs sont dirigées vers le futur- c’est d’ailleurs pourquoi je pense que l’on peut trouver chez les jeunes israéliens cette maturité particulière, absente chez les jeunes générations d’autres nations- . Après tout les deux écoles de vie du sabra sont le kibboutz et l’armée (cette dernière ayant pris le pas sur le premier) qui ne sont rien d’autre que la construction et à la défense du pays. Difficile de faire mieux comme axe de formation et de perspectives des jeunes esprits. De toute évidence, cette caractéristique du sabra s’oppose à l’esprit de la galout, que ressentait et ressent peut-être encore la plupart des juifs de la diaspora: le sentiment d’une vie provisoire, de l’absence de repère et de destination dans les actions qu’ils entreprennent. Au début du XX, les grands penseurs juifs relevaient déjà ce trait ancré dans leur peuple ; Nordau utilisait par exemple une image pour illustrer cet état d'incertitude, de laisse-faire, caractéristique de la représentation du juif de la galout. Pour le juif, disait il, il ne suffit pas que des nuages sombres se profilent à l’horizon pour acheter un parapluie, il attendra d’être trempé et d’avoir une pneumonie. Le juif, dans la vision traditionnelle, n’apprends pas par le raisonnement mais par les catastrophes qu’il subit.
On peut se poser la question d’où provient l’image du sabra? Qui l’a construite? La réponse n’est pas difficile: les penseurs et écrivains sionistes. On peut d’ailleurs remarqué que les deux grands courants du sionisme, le premier relié au socialisme, au manette de l’Organisation Sioniste dans les années d’édification de l’Etat d’Israël et le courant révisionniste, agissant dans la N.O.S s’entendent largement sur ce point: la nécessité de changer chez le juif sa mentalité et du même coup sa capacité de réaction en vue de la création de l’Etat d’Israël. Dans le premier courant, celui de Ben Gurion, cela passe par la lutte des classes, et l’édification de l’homme nouveau, dans le second par la création pragmatique d’une Légion juive, pour mettre un terme au mal juif de “réfléchir sans agir”. (Je ne m’attarde pas aujourd’hui sur l’histoire du sionisme) Paradoxalement, ces hommes, théoriciens ou leaders de la cause sionistes étaient des juifs de la galout. La création par leur soin de l’image du juif acteur et conquérant en étroite opposition de leur milieu d’enfance ou de jeunesse n’est pas anodine: elle s’inscrit dans un rejet de ce qu’était à l’époque le juif de la diaspora. Pour créer Israël, il fallait d’abord se défaire de ce qui caractérisait le juif dans sa condition d’exilé. Il est cependant à remarquer que le concept du sabra a largement évolué depuis ses premiers balbutiements ; l’homme juif nouveau que ses inventeurs ont du rêver comme le parfait équilibre entre le corps, l’intellect, un homme de chair, de muscle et d’esprit, a dérivé jusqu’au sabra que l’on connaît aujourd’hui, largement désintellectualisé. (On pourrait s’interroger si la détérioration intellectuelle dans la société israélienne au cours de ces dernières décennies est reliée à celle des autres sociétés ou au contraire, connaît des mécaniques qui lui sont propres).
II.
Après ce tableau rapide et sûrement trop shématique du sabra, comme antithèse du juif de la diaspora, j’aimerais discuter avec vous de ce qui apparaître être un de ses corollaires: les relations, ou plutôt, la difficulté des relations entre société laïque israélienne et juifs ultra orthodoxes. Ceux-ci composent 10% de la population israélienne et sont regroupés dans une communauté très fermée, difficile à appréhender, -qui mériteraient que je vous en parle de manière plus approfondie-. Les tensions entre ultra religieux et sphère laïque sont monnaie courante: les tentatives de ségrégations sexuelles dans des bus publics, les pressions sur les magasins pour qu’ils respectent le shabbat, la détérioration de panneaux publicitaires aux modèles féminins constituent une part non négligeable des faits de société dans les journaux israéliens. On dit les israéliens fatigués, voir excédés, des exactions de cette communauté et inquiets de leur forte croissance démographique. On avance l’argument économique pour expliquer les tensions: la plupart des ultra-orthodoxes, surtout les hommes, ne travaillant pas, leur survie dépend des aides de l’Etat, payées par le contribuable israélien. Au fil des années, alors que le poids démographique de la communauté ulra-orthodoxe grandit, il en va de même pour cette ardoise de tsédaka (charité) imposée. D’où, selon les analystes, grogne et mécontentement des israéliens envers les ultra-orthodoxes.
On peut cependant envisager que la nature du mal-aise entre la communauté ultra-orthodoxe et le reste de la société israélienne est plus fondamentale qu'un ressenti pécuniaire: cette communauté constitue dans un sens la persistance du juif du ghetto au pays des sabras, la résistance de cet esprit de la galout en Eretz Israël même. (A ceux qui objecterons que les jeunes ultra-orthodoxes sont pour la plupart eux aussi sabra alors qu’à l’évidence ils ne remplissent pas les critères que j’ai brossés un peu plus haut, on peut répondre qu’ils ne sont pas sabra puisque la plus grande partie de la communauté ne reconnaît pas la République Israélienne comme Eretz Israël, ce dernier devant selon la croyance être créé par le Messie). Plusieurs considérations pour étayer cette idée ; les ultra-orthodoxes ont pour ainsi dire reformer le guetto en créant des quartiers communautaires (le plus connut d’entre eux est Méah’Sharim à Jérusalem). Le jeune ultra-orthodoxe est allergique à toute culture physique, exempté de l’armée (à l’exception de quelques rares volontaires, que le gouvernement cherchent à promouvoir dans des bataillons spéciales d’hassidim, rattachés à Tsahal). La communauté refuse tout principe de modernité, toute prospection future et vit semaine après semaine selon le rythme du calendrier religieux régi par les fêtes. Les styles vestimentaires strictement respectés par ses membres proviennent des anciennes communautés juives d’Europe. Bref, on aura compris l’évidence : la communauté ultra-orthodoxe s’apparente à une espèce de formole où se sont figés les moeurs, l’état d’esprit des juifs de la diaspora des siècles passés. Ce que l’on peut penser, c’est que l’inconfort des autres israéliens devant les membres de cette communauté résident dans cette idée là: ils les considèrent comme des ancêtres indésirables, dont en temps normal, on cacherait le portrait au fond d’un tiroir, mais qui présentent l’inconvénient d’être vivants. Voilà peut-être ce qu’est l’ultra-orthodoxe pour le sabra, sans que celui-ci ne puisse se le formuler: le vivant et intolérable rappel des traits du peuple juif au cours de la galout et dont lui, sabra, est l’exacte négation.
II.
Après ce tableau rapide et sûrement trop shématique du sabra, comme antithèse du juif de la diaspora, j’aimerais discuter avec vous de ce qui apparaître être un de ses corollaires: les relations, ou plutôt, la difficulté des relations entre société laïque israélienne et juifs ultra orthodoxes. Ceux-ci composent 10% de la population israélienne et sont regroupés dans une communauté très fermée, difficile à appréhender, -qui mériteraient que je vous en parle de manière plus approfondie-. Les tensions entre ultra religieux et sphère laïque sont monnaie courante: les tentatives de ségrégations sexuelles dans des bus publics, les pressions sur les magasins pour qu’ils respectent le shabbat, la détérioration de panneaux publicitaires aux modèles féminins constituent une part non négligeable des faits de société dans les journaux israéliens. On dit les israéliens fatigués, voir excédés, des exactions de cette communauté et inquiets de leur forte croissance démographique. On avance l’argument économique pour expliquer les tensions: la plupart des ultra-orthodoxes, surtout les hommes, ne travaillant pas, leur survie dépend des aides de l’Etat, payées par le contribuable israélien. Au fil des années, alors que le poids démographique de la communauté ulra-orthodoxe grandit, il en va de même pour cette ardoise de tsédaka (charité) imposée. D’où, selon les analystes, grogne et mécontentement des israéliens envers les ultra-orthodoxes.
On peut cependant envisager que la nature du mal-aise entre la communauté ultra-orthodoxe et le reste de la société israélienne est plus fondamentale qu'un ressenti pécuniaire: cette communauté constitue dans un sens la persistance du juif du ghetto au pays des sabras, la résistance de cet esprit de la galout en Eretz Israël même. (A ceux qui objecterons que les jeunes ultra-orthodoxes sont pour la plupart eux aussi sabra alors qu’à l’évidence ils ne remplissent pas les critères que j’ai brossés un peu plus haut, on peut répondre qu’ils ne sont pas sabra puisque la plus grande partie de la communauté ne reconnaît pas la République Israélienne comme Eretz Israël, ce dernier devant selon la croyance être créé par le Messie). Plusieurs considérations pour étayer cette idée ; les ultra-orthodoxes ont pour ainsi dire reformer le guetto en créant des quartiers communautaires (le plus connut d’entre eux est Méah’Sharim à Jérusalem). Le jeune ultra-orthodoxe est allergique à toute culture physique, exempté de l’armée (à l’exception de quelques rares volontaires, que le gouvernement cherchent à promouvoir dans des bataillons spéciales d’hassidim, rattachés à Tsahal). La communauté refuse tout principe de modernité, toute prospection future et vit semaine après semaine selon le rythme du calendrier religieux régi par les fêtes. Les styles vestimentaires strictement respectés par ses membres proviennent des anciennes communautés juives d’Europe. Bref, on aura compris l’évidence : la communauté ultra-orthodoxe s’apparente à une espèce de formole où se sont figés les moeurs, l’état d’esprit des juifs de la diaspora des siècles passés. Ce que l’on peut penser, c’est que l’inconfort des autres israéliens devant les membres de cette communauté résident dans cette idée là: ils les considèrent comme des ancêtres indésirables, dont en temps normal, on cacherait le portrait au fond d’un tiroir, mais qui présentent l’inconvénient d’être vivants. Voilà peut-être ce qu’est l’ultra-orthodoxe pour le sabra, sans que celui-ci ne puisse se le formuler: le vivant et intolérable rappel des traits du peuple juif au cours de la galout et dont lui, sabra, est l’exacte négation.